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 Karim Amellal. Roman : Cités à comparaître

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El Guelmi
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Date d'inscription : 08/02/2007

Karim Amellal. Roman : Cités à comparaître Empty
MessageSujet: Karim Amellal. Roman : Cités à comparaître   Karim Amellal. Roman : Cités à comparaître Icon_minitimeMer 24 Oct - 1:46

Karim Amellal. Roman : Cités à comparaître


Ma profession c’est terroriste et ma vie elle se termine comme ça. Par une coupure dans les journaux : Un terroriste reconnu coupable de la mort de douze personnes dans un attentat à la bombe à Paris.Un jeune intégriste, sans doute d’origine algérienne, fortement soupçonné d’appartenir au réseau Al-Qaïda et à l’entourage proche d’Oussama Ben Laden, a été jeudi reconnu coupable d’avoir participé à un attentat à la bombe dans le XVIe arrondissement de Paris. […] Il a été condamné à la prison à perpétuité. (…)

Y avait pas d’étoiles dans ma cité. On pouvait pas les voir à cause des tours qui défonçaient le ciel. Alors heureusement que moi j’avais ma lune pour me faire tenir un peu quand j’en avais vraiment besoin. Y en a plein qui allaient squatter les caves avec leurs seringues et leurs meufs. Moi c’est juste parce que j’en pouvais plus de cette fausse obscurité, celle du dessus, que j’ai été squatter les caves. Les caves au moins c’est vraiment sombre. Ça se la joue pas. Ça mitonne pas. Mais j’avais pas de meufs à y emmener. Alors un jour j’ai décidé de les remplacer par des seringues. Et l’arbre qui était au bout du chemin j’y suis plus jamais retourné. Une fois quelqu’un m’a dit que les seringues c’est pareil que les meufs sauf qu’elles sont plus faciles à attraper : après la deuxième tu peux plus t’en passer. (…)

Pourtant, je sais que c’est une sacrée pourriture la « drogue » comme ils disent les autres, ceux du dehors. Nous on appelait pas ça de la drogue. Jamais. Y a que ceux que ça fait flipper et qui en ont jamais pris qui appellent ça la « drogue ». Avec leur air de bonnes sœurs et de frères musulmans dans l’œil. Pour nous c’était le kif, la meuka, le shoot, la dope, le matos dans le sang qui montait très vite comme un vaisseau spatial. (…)

Clair que ça faisait du bien la came. Au moins pendant dix minutes. Je m’en gavais les veines pour oublier. C’est chelou comme idée non ? J’ai jamais vraiment su quelle came y avait dans ces piquouses-là. Personne savait. Mais ça correspondait bien à mon idée de foutre en l’air tout ce qu’il y avait à l’intérieur de moi. Ça marchait. Pas longtemps. Je crois que chacun met la came qu’il veut dans une seringue. Chacun a une raison spéciale de se rentrer une piquouse au milieu du bras. Dans la cave de mes potes de shoot, on se gavait de ce qu’on pouvait. Pour une fois. On se shootait et puis le reste clamsait. Et puis les deux mecs, ceux qui m’avaient tiré de la cave, ils sont venus me voir. Ils m’ont dit que c’était ma faute et qu’ils m’avaient prévenu. J’ai répondu que je savais. Ils m’ont dit qu’il fallait plus jamais que je touche à la dope ni que je traîne avec les autres losers. Ils m’ont dit que parmi les autres keums qui squattaient dans la cave avec moi le soir où ils sont venus me chercher y en avait les trois quarts qui étaient bons pour la casse, complètement brûlés ou intoxiqués. Personne n’en avait rien à foutre d’eux de toute façon. La police disait qu’ils étaient morts d’une overdose et ça arrangeait tout le monde. C’est comme ça qu’on enterre les lascars. La came c’est déjà le cercueil. Après plusieurs jours ils m’ont ramené chez moi dans la vieille camionnette blanche. Ils m’ont encore filé un peu de maille et m’ont dit de me trouver un vrai boulot. Ils allaient m’aider. J’ai accepté. (…)

Je voudrais être dehors. Être comme tous les gosses de mon âge. Avec leurs parents. Avec une famille. Dans un joli endroit où ça sent bon et où y a pas de cafards sur les murs. Ça me saoule d’être un terroriste international. Je voudrais être un mec normal. Serrer une meuf jolie et plus la lâcher. Avoir une mère normale qui me kiffe et que je kiffe. Je voudrais juste être un homme. Je voudrais aller me balader dans un jardin public avec elles, Nadia et ma mère, en leur prenant la main et en m’arrêtant de temps en temps pour les embrasser. À côté de moi, y aurait des enfants qui joueraient sur les toboggans et les balançoires. Il ferait beau. Y aurait la mer pas trop loin. Et je pourrais enfin la voir. Je l’embrasserais elle aussi. Je m’installerais sur la plage, sur le sable froid, et je regarderais la lune se planquer derrière le ciel. Je la verrais pas complètement, juste un peu, mais c’est pas grave, je voudrais voir la lune au-dessus de la mer. Et puis je voudrais m’endormir sur le sable froid. Comme les mouettes. Je crois qu’elles font ça les mouettes. Elles jouent un peu entre elles à côté de la mer et après, elles s’endorment toutes ensemble dans le silence des vagues. Je voudrais être une vague aussi pourquoi pas ? Partir de loin et venir m’échouer sur le sable, lentement, sans pression, sous la lune que je pourrais voir tout le temps, même la nuit. Ça doit être beau une vague la nuit. Je suis sûr qu’on peut mieux la voir parce qu’elle n’est pas là. On fait que la deviner. On s’approche et on la caresse. C’est pareil avec une meuf. Je voudrais pas être quelqu’un de triste. Je voudrais être drôle et raconter des trucs drôles à mes gosses. Leur parler de ce qu’ils seront plus tard après l’école. Leur dire que la vie c’est pas toujours de la crasse et qu’il faut bien se tenir, bien agir, bien suivre le mouvement des vagues. Putain, des enfants. J’espère qu’ils auraient pas ma tête. Mais forcément que non puisqu’on doit être deux pour faire des gosses. Moi je voudrais rien leur donner de moi. (…)

Je sentais qu’on tournait de plus en plus et qu’on roulait moins vite alors j’ai compris qu’on était arrivé à Paname. Personne m’avait dit dans quel quartier ça devait se passer. Et puis très vite on a stoppé. Je flippais comme un ouf. Le mec à côté de moi je lui ai pas adressé la parole une seule fois. Il flippait lui aussi je crois parce qu’il transpirait comme une vache qui sait qu’elle va devenir un steak. Le keum qui était assis devant à côté du chauffeur est sorti et il est venu derrière pour me montrer le détonateur. Il m’a expliqué vite fait comment ça fonctionnait et il m’a montré le petit bouton rouge. C’est ça qui commandait l’explosion. Y avait rien d’autre à foutre. C’était un boulot peinard finalement. Ça m’a déstressé un peu. Il m’a aussi répété qu’il fallait surtout que j’attende qu’on me file le signal par portable. Le keum à côté de moi il devait surveiller par la fenêtre du van et rester en contact radio avec un des trois de la bande, ceux qui étaient venus dans l’appart. Steven et Bruce je savais pas où ils étaient et ce que c’était que leur rôle. Je me rappelle du silence cette nuit-là. Y avait pas un bruit. Personne parlait. Moi je tremblais. À cause du froid aussi. Je m’étais pas assez couvert. Mais je restais concentré, les yeux fixés sur le bouton et je vérifiais toutes les deux secondes que le portable captait bien. Et puis il a sonné. J’ai décroché et le keum au bout du fil m’a dit : « Vas-y. » Alors j’ai appuyé sur le bouton rouge. Et ça a pété, ça c’est clair ! Et ça a tellement pété que le van il a été éventré lui aussi. Et nous avec. (…)

Donc la télé elle parlait d’une grosse organisation terroriste démantelée par la police française. Ils disaient que de dangereux assassins avaient été retrouvés morts et que c’était bien fait pour eux. Ils ont même montré une fois les portraits de Bruce et de Steven. Leurs mères, je sais pas où elles étaient mais elles devaient pas être fières. Et puis ils ont parlé de moi. J’étais le seul terroriste survivant, un miraculé du terrorisme mais il aurait mieux valu pour la société que je crève avec les autres. Ils disaient que j’étais un petit lascar des cités recruté par le grand banditisme pour servir la cause des terroristes palestiniens et irakiens et iraniens et libanais et afghans et mondiaux. Et puis après tout le monde a parlé de ça parce que, paraît-il, les journalistes allaient de révélation en révélation. Ils ont raconté que les cités sont blindées d’accointances entre les paumés, les drogués et le terrorisme international. Que l’argent du shit va alimenter des caisses grises et noires qui vont servir à poser des bombes artisanales style 11 Septembre. Ils parlaient de Ben Laden qui était une sorte de Spiderman géant avec une grosse barbe emmêlée dans sa toile. Et Ben Laden il avait des bébés dans toutes les cités pourries du monde. Et puis y a aussi une meuf qui a parlé de moi en disant que j’étais un mec issu de l’immigration, style un Rebeu, et que mon père, il avait des racines profondes dans le terrorisme du bled algérien. Là ils m’ont eu les bâtards parce que je savais pas ça et c’était peut-être vrai. Mais après y a un autre expert du terrorisme algérien qui a dit que non, que c’était pas vrai l’histoire de mon daron et que j’étais juste un mec qui avait pas de daron, donc qu’il fallait arrêter de dire n’importe quoi sur le terrorisme algérien. (…)

Après ils m’ont fait venir à la barre et ils m’ont interrogé. J’étais installé à côté du juge en face de la salle. Le mec qui m’accusait m’a encore demandé ce que je savais de l’« organisation » et de ce qui était prévu avec la thune et j’ai dit que je savais rien, sauf que ça devait servir à des causes d’humanité. Il m’a ensuite demandé si je connaissais les « dangereux individus liés au terrorisme international » qui étaient sur la photo et j’ai dit que non. C’était vrai : ces keums, je les avais jamais vus de ma vie. Il m’a ensuite montré la photo de Bruce et de Steven avec les trois autres keums, ceux qui étaient venus à l’appart, et là j’ai dit que je les connaissais. Il m’a demandé si je savais qui ils étaient exactement et j’ai répondu que non. Dans la putain de salle, tout le monde s’est marré, même le juge qui me regardait de haut. « Vous êtes un terroriste » il m’a dit en ouvrant ses gros yeux sur ma face. Moi j’ai eu l’impression qu’ils allaient me gerber dessus. « Non » j’ai répondu en essayant d’ouvrir moi aussi mes yeux, au maximum. Mais là j’ai fait flipper tout le monde je crois. Je l’ai senti direct. Y a une meuf du jury qu’a failli se casser en deux par terre tellement elle a sursauté. « Si », il m’a dit le mec qui m’interrogeait. Et comme ça aurait pu durer des plombes, j’ai compris que quoi que je dise, c’était lui qui aurait le dernier mot, alors j’ai répondu : « O.K. c’est moi. » Et là la salle du tribunal s’est mise à chuchoter, et puis y en a qui ont crié, dans le fond surtout. (…)

C’est la psy qui m’a expliqué que c’était bien pour moi et ma tête de lâcher tout ce que je voulais dire par écrit parce que ça m’aiderait à y voir plus clair dans l’obscurité de mon cœur. Elle a dit un truc comme ça, j’ai pas trop compris. Et puis elle m’a donné le mot technique pour tout ça. Ce mot, c’est un truc comme catalepsis, carsatis, un truc comme ça quoi. Au début ça m’a fait flippé. J’ai dit à la psy que je pouvais pas faire ça mais elle a répondu que si, que c’était ce qu’il fallait faire. Alors je lui ai demandé si elle allait le lire et elle m’a dit que c’était comme je voulais. J’en savais rien moi. J’ai réfléchi un peu et puis finalement j’ai dit « O.K. ». Elle pourra le lire. J’ai écrit pendant des jours et des jours. Les nuits aussi j’ai écrit parce que mes yeux ils étaient tellement remplis de noir que je voyais pas la différence.
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